lundi 20 octobre 2014

En pure Perte, extrait

"Il y a des moments, quand la tempête rabat les nuages dans la vallée, que la forêt exsude sa vapeur et que la voix des rochers se réveille (un tonnerre lointain qui s’approcherait avec des chants de louange pour la Terre, des chants d’une joie déliée), quand les nuages accourent à la vitesse de chevaux sauvages, au galop, au galop ; quand il se trouve un rayon de soleil pour fendre tout ça comme une rapière, des sommets jusqu’aux vallées, et étinceler sur les à-plats de neige, d'un blanc à vous rendre aveugle…

Ou encore quand l’orage dégage la nuée pour qu’apparaisse un lac bleu clair, et que le vent se calme, et qu’on entend alors, depuis les ravins tout en bas, le bruissement des sapins, léger comme une berceuse ou un tintement de cloche... qu’il y a un peu de rouge qui s’accrocherait au bleu profond, que les sommets des montagnes alentour brillent d’une lumière dure et tranchante…

Alors ça se déchire dans la poitrine, on se tient haletant, le corps suspendu vers l’avant, la bouche et les yeux écarquillés, comme pour avaler l’orage, le garder tout en soi, se coucher sur la Terre, tout dilaté et s’enfouir dans le Grand-Tout, même si ça doit faire mal ; ou bien aussi poser tranquillement sa tête contre la mousse, fermer les yeux à moitié, tout voir s’éloigner de soi, la Terre se dérober comme une étoile filante et plonger dans un courant dessous qui emporterait tout dans son flot écumant…"

(Extrait de Lenz, de Georg Büchner, traduction Olivier Loeffler et Laurent Contamin, in En pure Perte, de L. Contamin)

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